Histoire: Staline, instigateur de la planification totalitaire (2024)

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ParRédaction du Monde Économie(Blog Économie & entreprise)

Publié le 05 juin 2013 à 11h00

Temps de Lecture 9 min.

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Voici la version intégrale du texte de la page "Histoire" de Pierre Bezbakh, publié dans le cahier "Eco & entreprise" du Monde daté samedi 1er juin.

Le premier plan quinquennal adopté en 1928 en Union soviétique a pour conséquences une collectivisation forcée et la déportation de millions de paysans.

Il y a un peu plus de soixante ans, le 5 mars 1953, Joseph Staline mourrait. Cet anniversaire est passé relativement inaperçu, sans doute parce que l’épisode du «stalinisme» semble relever de l’histoire ancienne, et que plus personne (ou presque) ne se prévaut aujourd’hui de cette triste expérience.

De son vrai nom Joseph Vissarionovitch Djougachvili, il était né en décembre 1878 à Gori, en Géorgie, dans une famille modeste : son père était cordonnier et sa mère couturière. Celle-ci, abandonnée par son mari alcoolique, parvint cependant à financer les études de son fils, qu’elle destinait à la prêtrise. Il passa ainsi vingt ans au séminaire de Tiflis (aujourd’hui Tbilissi).

Mais il fut renvoyé de l’établissem*nt en raison de son athéisme et son adhésion au Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), créé en 1898. Il participa alors à des attaques de banques afin de financer son Parti. Cela lui valut trois déportations en Sibérie, dont il parvint deux fois à s’évader.

Entre temps, ayant adopté le pseudonyme de Staline (« l’homme d’acier »), il avait rejoint en 1905 la tendance bolchévique du POSDR et avait rencontré Lénine, dont il devint un soutien inconditionnel, mais obscur. En 1917, libéré du camp de Touroukhansk, il devint membre du Politburo, organe suprême du Parti bolchévique crée par Lénine en 1912, après la scission avec les menchéviques, plus modérés.

Il ne joua cependant qu’un rôle secondaire durant la révolution d’octobre, mais s’illustra par sa brutalité en ordonnant des exécutions massives pendant la guerre civile, en tant que commissaire politique.

En mars 1919, il devint secrétaire général du Politburo, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort, et qui lui permettra de concentrer progressivement tous les pouvoir, en s’appuyant sur la police politique impitoyable, la Tcheka, et en profitant de la maladie de Lénine.

Après la mort de ce dernier, en 1924, il mena une politique habile consistant à s’appuyer tour à tour sur la droite puis sur la gauche du Parti communiste pour éliminer d’abord politiquement puis physiquement tous ces rivaux, dont les principales figures des premières années de la révolution (Kamenev, Zinoviev, Trotsky, Boukharine…).

RESISTER A D'EVENTUELLES ATTAQUES

Grâce à une nouvelle génération de jeunes bureaucrates dévoués lui devant leur carrière, Staline construisit une société totalitaire et répressive visant à mettre en place le «socialisme dans un seul pays», en réalité un système économique autarcique totalement étatisé et planifié, afin s’assurer une industrialisation rapide et de se doter d’un appareil militaire permettant à l’Union soviétique de résister à d’éventuelles attaques extérieures.

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Pour ce faire, il mit fin à la NEP (Nouvelle politique économique) que Lénine avait appliquée afin de relancer l’activité, en réintroduisant, après la guerre civile, une certaine liberté d’entreprendre et en accordant aux paysans le droit d’exploiter leurs terres. Staline en revint à une appropriation étatique totale des unités de production et à une collectivisation forcée des terres.

Parallèlement, il confia l’organisation de l’économie au Gosplan (comité étatique de planification), qui définissait la nature des biens à produire, leurs quantité et leurs prix, imposait des objectifs précis et obligatoires aux diverses branches de l’économie, assortis de sanctions appliquées à tous ceux qui n’atteignaient pas ces objectifs et étaient accusés de « sabotage », pouvant aller jusqu’à la déportation ou la peine de mort.

Ce système ne laissait aucune marge d’initiative aux entreprises et aucun droit d’expression à leurs salariés, considérés comme de simples agents d’exécution des directives venant d’en haut. Les « soviets » (conseils) d’ouvriers, qui devaient à l’origine, avec les soviets de soldats et de paysans, exercer le pouvoir dans cette république « soviétique », n’auront de fait eu qu’une existence éphémère.

Staline rétablit le salaire au rendement, allongea la durée du travail, institua le livret ouvrier, et ceux qui arrivaient plusieurs fois en retard de plus de dix minutes étaient envoyés au goulag. Le modèle idéal du bon ouvrier deviendra celui du mineur Alexeï Stakhanov, qui aurait extrait en 1935 quatorze fois le quota de charbon qui lui était imposé, et qui devint « Héros du travail socialiste », et fut plusieurs fois décoré.

Dans ces conditions, le premier plan quinquennal (1928-1932) visant à accroître significativement la production d’énergie et développer l’industrie lourde fut une réussite (tout au moins d’après les statistiques officielles), et entre 1928 et 1940 la production d’acier aurait été multipliée par quatre et celle d’électricité par cinq.

TROISIEME PUISSANCE INDUSTRIELLE

Staline pouvait ainsi se féliciter d’avoir réussi son pari : « La tâche essentiel du plan consistait à engager notre pays, à la technique arriérée, parfois médiévale, dans la voie d’une technique nouvelle et moderne (…), à faire passer la petite économie rurale morcelée dans la voie de la grande économie collectivisée (…), et à liquider la possibilité de restauration du capitalisme en URSS ».

Il est vrai que son pays était devenu la troisième puissance industrielle du monde à la veille de la deuxième guerre mondiale, possédait le plus barrage hydroélectrique du monde (le Dnieprostroï), avait aussi accru considérablement la production de charbon, de ciment, de rail et d’armement, exploité de nouveaux gisem*nts de pétrole, construit des villes nouvelles… Mais le prix de cette réussite avait été exorbitant !

Sur le plan humain, le bilan du stalinisme fut terrible : la répression contre les paysans voulant conserver leurs terres et les « koulaks » (paysans aisés) se traduisit par une trentaine de millions de fusillés, déportés ou déplacés (des paysans fuyant les campagnes après avoir incendié leurs récoltes), et la famine qui sévit en Ukraine, en 1932-1933 suite à la collectivisation forcée, fit plusieurs millions de morts ; les « Grandes purges » politiques (et les « procès de Moscou ») des années 1936-1938 auraient provoqué l’exécution de plus de six cents mille personnes et la déportation d’un nombre équivalent d’« ennemis du socialisme », un million de femmes et enfants de ceux-ci étant arrêtés ou envoyés dans des orphelinats ; plusieurs centaines de milliers de ressortissants de minorités nationales frontalières (Polonais, Baltes, Finlandais…) furent également emprisonnés ou exécutés.

Sur le plan économique, la politique stalinienne eut pour effet de réduire la production agricole (l’Ukraine était avant 1914 une riche région céréalière exportatrice) et de provoquer des famines, de sacrifier les industries de biens de consommation qui font toujours défaut à la Russie actuelle, et de susciter de nombreux gaspillages (projets sur dimensionnés ou de prestige, non cohérence des décisions, déresponsabilisation des producteurs…).

La planification stalinienne ne représente cependant qu’une forme brutale et extrême de contrôle exercé par l’Etat sur l’économie. En France, durant les années trente, le « planisme » fut défendu par une cellule de réflexion issue de l’Ecole Polytechnique, intitulée « X-Crise », qui considérait que l’Etat devait agir sur les structures de l’économie pour sortir de la crise de 1929.

Et en 1946, à l’instigation de Jean Monnet, fut mis en place un premier plan de modernisation et d’équipement qui définissait des objectifs prioritaires (transports, énergie, agriculture), organisait leur financement, et associait démocratiquement à leur réalisation les entreprises, les syndicats de salariés et l’Etat, dans le cadre d’un système d’économie mixte.

Selon les termes de Pierre Massé (nommé Commissaire général au Plan en 1959 par le général De Gaulle), le plan devait être un « anti-hasard », fixant des objectifs cohérents de long terme sans pour autant revêtir un caractère autoritaire et contraignant.

Aujourd’hui, après plus de trente années de retour au primat de « l’économie de marché », l’idée d’une nouvelle forme de planification refait surface, en raison des excès de la libéralisation et de la dégradation de l’environnement.

Loin de l’inspiration stalinienne, certains considèrent en effet que seule une relance concertée impliquant des choix et des financements publics pourra sortie l’Europe de la stagnation économique et du sous emploi massif, et qu’une « planification écologique » est nécessaire pour assurer à la fois cette reprise de l’activité et la sauvegarde de la planète.

Pierre Bezbakh,maître de conférences à l'université Paris-Dauphine

CHRONO SELECTIVE DE L'HISTOIRE DE L'URSS

1878 Naissance de Staline.

Mars 1898 Fondation du Parti ouvrier social-démocrate de Russie.

Janvier 1903 Scission entre mencheviks et bolcheviks. Ces derniers se constituent en parti en 1912.

2 (15) mars 1917 Le tsar Nicolas II abdique. Il est arrêté le 10 mars.

26 juillet-3 août 1917 (8-16 août) VIe Congrès du parti bolchevik. Trotski entre au comité central dont Staline (1879-1953) est membre depuis 1912.

25 octobre (7 novembre) 1917 les bolcheviks prennent le pouvoir à Petrograd et forment un Conseil des commissaires du peuple, sous la présidence de Lénine. Staline en est le commissaire aux nationalités. Lénine président du comité central du 26 octobre 1917 au 3 avril 1922.

Mars 1921 Lancement de la NEP.

27 mars-2 avril 1922 XIe Congrès du parti communiste. Staline devient le secrétaire général du comité central le 3 avril jusqu’à sa mort en 1953.

23-26 décembre 1922 Après plusieurs attaques cérébrales, Lénine dicte son «testament» politique destiné au prochain congrès du parti. Un post-scriptum du 4 janvier 1923 recommande l’élimination de Staline du secrétariat général.

21 janvier 1924 Mort de Lénine.

23-31 mai 1924 La troïka Staline-Kamenev-Zinoviev l’emporte contre Trotski lors du XIIIe Congrès du parti.

18-31 décembre 1925 Lors du XIVe Congrès du parti, l’opposition de Zinoviev et Kamenev à Staline est défaite.

1er octobre 1928 Début du 1er plan quinquennal qui s’accompagne d’une collectivisation de masse. Un calendrier de collectivisation est promulgué le 5 janvier 1930. De 1930 à 1932, plus de 2 millions de koulaks sont déportés.

21 décembre 1928 50e anniversaire de Staline en grande pompe.

7 avril 1930 Officialisation du terme de « Goulag ».

1933 Fin officielle du plan quinquennal quatre ans et trois mois après son lancement.

26 janvier-10 février 1934 Adoption du IIe plan quinquennal lors du XVIIe congrès du parti communiste qui s’achève le 31 mars 1937.

31 août 1935 Naissance du mouvement stakhanoviste : Alexeï Stakhanov - aidé secrètement par deux assistants, on l’apprendra plus tard - abat 105 tonnes de charbon (14 fois la norme) en moins de six heures, début d’une course à la production.

Février-mars 1937 Les purges prennent de l’ampleur.

1938 IIIe Plan validé l’année suivante par le XVIIIe Congrès du PC.

23 août 1939 Pacte germano-soviétique de non agression.

6 mars 1942 Staline, commandant en chef des forces armées, devient maréchal de l’Union soviétique et cumule médailles et récompenses les mois suivants.

2 février 1943 L’armée allemande se rend à Stalingrad.

1944 Déportations des Tchétchènes, des Ingouches, des Balkars, des Meskhets, des Tatars de Crimée.

5 mars 1953 Mort de Staline. Malenkov (1902-1988) membre du bureau politique du comité central du parti en 1946 devient président du conseil des ministres (premier ministre) (jusqu’en février 1955) et secrétaire du parti jusqu’au 14 mars où Khrouchtchev lui succède.

27 mars 1953 Le soviet suprême décrète une amnistie qui se traduit par la libération de près de 900.000 prisonniers les mois suivants.

14-25 février 1956 20e congrès du PCUS, « rapport secret » les 24-25 février sur les « crimes du stalinisme ». Brejnev fait son entrée au présidium comme suppléant.

14 octobre 1964 Chute de Khrouchtchev déchargé de toutes ses fonctions par le plénum. Brejnev émerge comme le nouveau leader.

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